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Prix agricoles : que faire ?

TGC 162-2 

LES FAITS. Le salon agricole SPACE, véritable carrefour de la profession, ouvre aujourd’hui à Rennes. En toile de fond : les prix agricoles et les États Généraux de l’Alimentation. 

Les prix agricoles… Sans grand risque (hélas), le sujet sera “LE” thème central du Space, millésime 2017.  Il l’est déjà des États Généraux de l’Alimentation, et notamment de l’Atelier 5 (au cours duquel j’ai été invité à m’exprimer lors de la première séance, en qualité de directeur du Think Tank Agroalimentaire des Echos). Une fois n’est pas coutume, le problème est remarquablement bien posé... La question de cet atelier n’est en effet pas de savoir comment… “augmenter” les prix agricoles mais bien comment les rendre “plus rémunérateurs”. Une nuance que quelques auto-proclamés défenseurs du monde agricole n’ont toujours pas intégrée alors que leur responsabilité devrait plutôt les conduire à “éclairer les masses” qu’à servir une soupe corporatiste, teintée d’obscurantisme…

Oui, baisser les coûts peut rendre un prix plus rémunérateur

C’est d’une banale honnêteté intellectuelle mais, baisser les coûts, est, par principe, une manière de rendre un prix plus rémunérateur (à la condition, évidente, que l’organisation de la mise en marché soit telle qu’elle permette de conserver le gain obtenu). N’en déplaise à beaucoup, les coûts de la Ferme France sont décalés. Un rapport public de 2015 était à cet égard catégorique : « Sur une période de onze ans (2003-2013), la France est en perte de compétitivité pour l’ensemble des produits étudiés vis-à-vis de ses sept partenaires étudiés (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas et Pologne) » écrivait les deux auteurs. En parallèle, au sein d’une même filière, les écarts de performances (et donc de coûts) entre exploitations sont spectaculaires : parfois de 1 à 4 selon les centres de gestion. Xavier Beulin, le précédent syndicaliste-en-chef (FNSEA) avait bien pointé le sujet. Mais c’est une véritable révolution qui attend l’agriculture française : qu’elle accepte le niveau médiocre de certaines performances (que des moyennes souvent acceptables cachent) et que le soutien public à l’agriculture soit bien davantage ciblé qu’uniforme. Ce qui, par facilité, n’est pas le cas aujourd’hui.

Pour une part, la faible compétitivité de la Ferme France prend aussi sa source dans des distorsions de coûts de production entre pays d’Europe. Dit abruptement, au sein de l’UE, les marchandises circulent librement mais les règles du jeu diffèrent. Intenable. L’agriculture française doit obtenir de sa tutelle le principe de l’iso-contrainte, faute de quoi ses coûts ne permettront jamais aux prix d’être rémunérateurs. 

Oui, les prix d’achat doivent progresser. Mais parce que la valeur de l’offre progresse

Dans le même temps, les prix d’achat doivent progresser. Personne ne le conteste ! Mais un prix d’achat ne se décrète pas, c’est une conséquence de marché. Lorsque le prix est politique (par exemple le “1,40 €” pour le porc), il ne peut durer. D’ailleurs, la (petite) histoire retient que c’est une organisation d’éleveurs (la coopérative Cooperl) qui, la première, avait dénoncé un prix sans fondement économique. Et que les derniers à soutenir ce prix (notamment pour des raisons d’image), ont été des distributeurs, engagés dans la filière via leur abattoirs, Leclerc et Intermarché. 

Pour soutenir les prix, pas d’autre voie que de modifier les attendus de marché : l’offre ou la demande. La gamme “C’est qui le patron” démontre par exemple comment, en modifiant le produit, sa valeur perçue peut fondamentalement changer. Mais, si le succès est incontestable, son poids sur le marché demeure faible. Pour changer d’échelle, il appartient de soutenir la demande en rendant obligatoire ET visible l’origine des matières premières. Et tant pis si l’Europe trouve à y redire. Qu’elle s’occupe, d’abord, des distorsions de coûts entre pays ! La période d’expérimentation obtenue par le précédent Ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, pour les produits laitiers et carnés doit être prolongée, élargie et l’affichage de l’origine considérablement renforcé en “face avant” des packs ou en première page des menus de la restauration. Un plat cuisiné à base de filet de poulet… polonais va singulièrement perdre en attractivité, contraignant de fait les industriels (ou restaurateurs) à changer d’échelle sur l’approvisionnement “made in France”. Mécaniquement, la demande pour l’origine France progressera, soutenant alors les cours. Nul besoin d’un brillant cursus en économie pour le comprendre… 

Non, la volatilité n’est pas une fatalité

Enfin, à défaut de supprimer la volatilité des cours (elle a toujours existé, ce sont juste ses effets qui ont changé d’échelle), l’objectif est de mieux la gérer. Et, ce, à tous les niveaux de la filière. 

En amont, le risque – notamment climatique – est insuffisamment couvert. Simplement car les primes d’assurance sont vues comme trop onéreuses pour le bénéfice escompté, franchises comprises.  En apportant sa garantie aux compagnies d’assurance, l’État contribuerait à une baisse significatives des primes, donc doperait la couverture.

En aval, le développement de la contractualisation est un chemin incontournable pour garantir aux exploitants la visibilité sans laquelle ils ne peuvent investir et améliorer leur compétitivité. Une banalité ?  En apparence, seulement. Une partie des “penseurs agricoles” considèrent encore la contractualisation comme allégeance et sous-traitance. Or elle est indispensable. Et pour en garantir le déploiement, rien de tel que d’en faire un élément de la politique RSE avec obligation de communication. 

Premier débouché de l’agriculture française, la distribution a, de fait, une responsabilité majeure. L’évidence conduit juste à rappeler qu’elle n’est pas seule. Loin s’en faut. Et que, de la fourche à la fourchette, chacun a un pas à faire. Chacun. Donc… tous !

Olivier Dauvers

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4 commentaires

  1. Un plat cuisiné à base de filet de poulet… polonais va singulièrement perdre en attractivité, contraignant de fait les industriels (ou restaurateurs) à changer d’échelle sur l’approvisionnement “made in France”. => Depuis 2007, j’ai cessé de fréquenter la restauration d’entreprise et la restauration tout court. On peut effectivement aussi se poser la question sur des ingrédients des produits élaborés. L’alimentaire non transformé (en gros les fruits, les légumes, la viande et le poisson), reste le plus sûr mais où parfois quelques triches sont constatées. C’est ainsi que sur mon lieu de vacances en Loire Atlantique, l’hyper du coin mélangeait des melons français avec des melons espagnols (trahis par la minuscule étiquette) et le tout des caisses du producteur français !

  2. Comme d’habitude une bonne analyse … à part le “dérapage” gastro-nationaliste. Jusqu’à nouvel ordre, aucun lien n’a pu être établi entre un lieu et le garanti qualitatif d’un produit. Origine n’égale pas qualité.
    Deuxièmement, les tomates bretons sont bien français, mais qui en Provence aura confiance dans ces tomates qui n’ont pas touché sol ni vu soleil 🙁 tu ouvres la porte vers un “gastro régionalisme”.

  3. belle démonstration … très juste. Il faut: soit les mêmes règles pour jouer le même match, soit annoncer la couleur CQFD Pour conclure un seul mot BRAVO Olivier

  4. Bonjour Olivier
    Merci pour votre dossier
    Pourriez vous préciser et approfondir votre propos ci-dessous, et en particulier vos deux première allégations.
    Merci
    “Pour une part, la faible compétitivité de la Ferme France prend aussi sa source dans des distorsions de coûts de production entre pays d’Europe. Dit abruptement, au sein de l’UE, les marchandises circulent librement mais les règles du jeu diffèrent. Intenable. L’agriculture française doit obtenir de sa tutelle le principe de l’iso-contrainte, faute de quoi ses coûts ne permettront jamais aux prix d’être rémunérateurs. ”
    Cordialement
    Philippe

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