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Carrefour / Couche-Tard : Qui est (vraiment) pour ? Qui est contre ? Et qui gagne à tous les coups ?

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Passée la surprise, passés les premiers effets de manche (avec, en superstar, Bruno Le Maire sur France 5), place aux tractations en coulisses. Les boss de Couche-Tard sont toujours à Paris, précisément pour affiner la copie et, probablement, apprendre des dirigeants de Carrefour comment amadouer un État français dont les sorties peuvent troubler les plus cartésiens (même Alexandre Bompard, pourtant rompu aux arcanes du pouvoir, aurait été plus que surpris d’entendre un ministre juger une opération… “a priori”). Qui est pour ?, qui est contre ?, et… qui gagne à tous les coups (le fameux jeu du qui perd gagne !) ?

Le Board de Couche-Tard

Outre Atlantique, le board de Couche-Tard est évidemment pour. Carrefour est une opportunité unique de faire pivoter le business-model d’une “boîte” dont le pétrole compte pour 72 % du CA et 40 % de la marge. A l’heure de la transition énergétique, c’est pas idiot de regarder ailleurs 😉 Et cet “ailleurs”, c’est Carrefour : un groupe à plus de 80 % alimentaire et peu valorisé. Particularité de Couche-Tard, les 4 fondateurs (dont Alain Bouchard en photo) détiennent 22,5 % du capital mais 67 % des droits de vote pour encore quelques mois. En fait, depuis l’origine, chacune de leurs actions portent 10 droits de vote. Et une clause signée en 1995 stipule que ça sera le cas jusqu’à ce que tous les fondateurs aient atteint l’âge de 65 ans. Le plus jeune des quatre, Jacques d’Amours (le bien-nommé !), fêtera son 65e anniversaire en décembre prochain. Autant dire que, jusque-là, le club des 4 a les mains (presque) totalement libres. Tant qu’il trouve les moyens de ses ambitions of course

Les autres actionnaires de Couche-Tard

A la bourse de Toronto, l’action Couche-Tard a logiquement plongé. Et la position des analystes nord-Américains n’est visiblement pas tranché. Pendant des années, le board de Couche-Tard “a vendu” comme stratégie un rythme effréné d’acquisitions de magasins de proximité et de réseaux de stations-service. Il fallait, disait alors Couche-Tard, consolider au plus vite ce secteur au niveau mondial. D’où une OPA jusqu’en Australie. Désormais, donc, changement (violent) de stratégie. C’est un acteur multiformat et à 80 % alimentaire qu’il faut racheter ! Forcément, ça tique un peu. Et le soutien escompté par les patrons de Couche-Tard tarde à venir. 

Les banques conseil et la place de Paris

L’intérêt des banquiers conseils est clair : que le deal aboutisse. Leurs commissions en dépendent ! Donc, ils sont clairement “pour”. L’establishement aussi mais pas pour la même raison. En fait, les grands patrons français et le MEDEF sont tombés de leur chaise devant la sortie de Bruno Le Maire. Un Ministre de l’Économie, étiqueté à droite (après tout, il a concouru à la primaire de LR), qui s’oppose à la marche du business ? Terrible pour l’image de la France des affaires. Donc, eux sont “pour” parce que Le Maire est “contre”. Vous suivez ?

Les actionnaires de Carrefour

En France, les actionnaires se frottent les mains. Personne ne voulait de Carrefour à 13 € et voilà qu’on leur propose 20 € l’action. Presque inespéré. Bien sûr, beaucoup perdront beaucoup. C’est le cas de Bernard Arnault qui a commencé “à rentrer” dans Carrefour à plus de 50 €. Depuis, il a certes moyennisé à la baisse son prix de revient mais sera tout de même perdant. Le message depuis longtemps dans le camp Arnault : “Il faut savoir prendre ses pertes quand l’occasion se présente“. Et, là, objectivement, elle se présente. 

Alexandre Bompard

Même s’il n’a (peut-être) envoyé aucun signaux de fumée, sa réputation de “deal-maker” l’a précédé. Quiconque savait bien qu’il regarderait un dossier qui lui serait présenté. Ce fût donc Couche-Tard. Et Alexandre Bompard a reçu les émissaires canadiens et accepté de travailler le dossier. Souhaite-t-il pour autant qu’il aboutisse ? Il ne peut dire autre chose. Mais dans son for intérieur ? Pas sûr. Car à tous les coups il gagne. Et c’est bien le seul… Que l’opération se réalise (avec évidemment une surenchère), il aura rempli sa mission : renflouer (un peu) les poches de ses actionnaires. Les siennes aussi puisque à l’ère de la transparence quiconque a accès en deux clics à ses emplettes en Bourse. Par exemple 7 087 actions le 12 mars à 12,51 €. Et si d’aventure le deal n’aboutit pas, il a rendu Carrefour (re)désirable et l’action se maintiendra probablement à un niveau supérieur à ce qu’elle était avant. 

Les politiques français

Le jour même sur France 5, et de manière inédite, Bruno Le Maire a donc douché les rêves d’union de Carrefour et Couche-Tard. Depuis, il l’a répété, encore ce matin sur BFM : “C‘est un non courtois mais clair et définitif“. Comme évoqué hier dans mon édito (relire ici), il y a d’évidentes arrières-pensées. Car l’argument de la souveraineté alimentaire (devenu depuis sécurité alimentaire) ne vaut rien. Mais dans un pays en repli sur lui-même, mieux vaut se donner les apparences du protecteur que du libéral. En tous les cas si on aspire à mieux que Ministre de l’Économie. D’autres ministres ont suivi Bruno Le Maire : Elisabeth Borne au Travail, et Julien Denormandie à l’Agriculture. Mais le Président de la République, lui, ne s’est pas exprimé. Il ne peut ignorer le risque pour l’image de la France dans le Monde (des affaires). Mais peut-il se permettre d’un conflit avec un ministre-présidentiable ? 

Les managers opérationnels de Carrefour

Naturellement, je n’ai pas mené d’étude circonstanciée… Mais j’ai trop de remontées concordantes. Même si aucun n’osera l’exprimer publiquement, beaucoup de top-managers préfèreraient éviter de passer dans le giron de Couche-Tard. “On sait ce qu’on perdrait, pas ce que l’on trouverait“. Vu comme ça, effectivement… Sachant que beaucoup craignent pour la motivation des équipes sur le terrain qui est pourtant l’enjeu clé de la méthode Rami dont les premiers effets se font par ailleurs sentir. Dit de manière un peu abrupte : “Difficile de motiver un mec à 1 500 balles par mois pour faire un effort en plus lorsqu’il voit que son sort se joue à coup de milliards et loin de lui“. Vu comme ça, effectivement (bis)… 

Les syndicats

Les avis sont rarement tranchés en la circonstance. Mais il faut lire entre les lignes pour comprendre que c’est pas la joie ! En tous les cas pour FO et CFDT. Donc que les négociations échouent ne leur déplairait pas. Mais s’ils veulent maintenir Carrefour durablement indépendant (et donc en terminer avec ce statut de “proie”), il leur faudra quand même davantage collaborer au redressement de l’entreprise. Et accepter peut-être des évolutions qu’ils ont tendance à contester par principe. Le projet de réorganisation du travail Top (et désormais aussi “Top caisses”, je glisse l’info au passage !) en témoigne. A l’inverse, le syndicat des cadres (SNEC) est plus ouvert : “Nous pourrions observer ce rapprochement comme une opportunité“. Si même les syndicats ne sont pas d’accord…

14 commentaires

  1. La bonne et unique analyse de ce rachat (et non pas un mariage) sans aucune synergie, c’est que Bompard et les actionnaires semblent compter sur un acheteur étranger pour faire le sale bout de restructuration auquel le groupe n’échappera pas.

  2. Le Président de la République ? Est qu’il en pense la même chose que le ministre de l’économie en 2014 lors de la vente d’Alstom ? Oh mais attends, c’était qui déjà ?
    Tout cela sur le fond de CETA à la ratification laborieuse … (j’ai visionné un documentaire sur ARTE sur les tribunaux arbitraux, ça mérite le détour)

  3. Notre ministre de l’économie ne devrait pas s’étonner que le Canada mette le nez dans notre binks, après tout la France a du mal à rapporter du biff chez carrefour contrairement à l’international, c’est une opportunité à étudier scrupuleusement certes pour ne pas faire de mauvais choix dans les petites lignes, mais qui est porteur et encourageant.
    Si Bompard réussit ce coup là, c’est quand même un sacré pavé dans la mare, faire basculer un géant comme ça après tant d’années d’immobilisme, il fallait oser !

    1. La démarche de Mr Lemaire est entièrement protectionniste dans ce cas alors qu’il ne s’offusque pas lorsque des entreprises Françaises font leur marché à l’étranger .
      Il y a 15 jours , Carrefour nous a annoncé avoir acheté 229 magasins à Taiwan pour devenir le n°2 local sans réaction de sa part. Qu’en a pensé son homologue Taiwanais au nom de la sécurité alimentaire de son pays?
      Ce qui se passe actuellement devrait faire réfléchir les syndicats de Carrefour et les inciter à moins de blocages systématiques sur toutes les réformes proposées qui ne sont que l’adaptation à nos nouvelles habitudes des consommation , ce qu’ont bien compris Lidl et Leclerc.

  4. “A l’heure de la transition énergétique, c’est pas idiot de regarder ailleurs” les electriques, il faut aussi les recharger. et les bornes haute puissance ne seront pas dans chaque maison/immeuble. D’ailleurs le secteur attire les boites de private equity qui sont rarement les investisseurs les plus stupides (EG Group et TDR, Applegreen et Blackstone,…). C’est toujours mieux pour les marges quand le client vient au magasin plutot que l’inverse.
    “72 % du CA et 40 % de la marge.” ce qui prouve bien que l’alimentaire est crucial au business model de ces boites.
    Il faut aussi rappeler qu’une transaction similaire a lieu au Royaume-Uni en ce moment avec le rachat d’Asda par EG Group. Les managers d’Asda pourront partager leur experience de la gestion par Wal MArt (a laquelle vous faisiez reference) et par un “pompiste”.

  5. jolie analyse.Ce n’est que le début d’un jeu de poker menteur.Alex , qui a triplé le cours de la fnac, ne peut se contenter sans honte , d’un +10% par rapport a son cours d’entrée(21.50) lors de sa prise de fonction.Ila débusqué magistralement le Loup Le Maire, assoiffé de Présidentielle ; C’est ca le fait du Maître..Perso , je pense que les canadiens pourraient bloquer l’achat de “Bombardier” par Alstom.Juste retour face au nationalisme aberrant de Le Maire.Aldi est allemand et réussit brillamment à alimenter(!) la supply -chain …française.Seuls Arnault et les proprio de Lafayette sont prêts à brader,,,, vus leurs moyens.Mais Diniz le Brésilien?En Mars les résultats seront excellents .Rami Baiteh réussit et offre une perspective de reconquête.Refusant cette alliance franco-québécoise, Le Maire ne pourra refuser une OPA de Carrefour sur Casino, à terme.Le tour est joué.

    1. Ca s’appelle… le coup d’après. Ca sera le thème d’un prochain édito. Mais à chaque jour suffit sa peine 😉

    2. Il faut aussi et surtout tenir compte le bilan de Macron : vente d’Alstom, de Technip, de Lafarge, etc. A 1.5 ans des Présidentielles, je doute fort qu’il se risque à donner le feu vert à la vente de Carrefour à un canadien !

  6. Tiens donc, encore un journaliste qui sait pas écrire correctement président de la République ! Car oui c’est comme ça qu’il faut écrire président de la République et pas Président de la République…Mal à mes yeux

  7. Belle analyse mais il manque semble t il le volet concurrents ? Les indépendants déjà gagnants aujourd’hui devraient voire positivement le rachat par le groupe québécois : aucun groupe de distribution ne réussit en dehors de son pays sauf Aldi et Lidl , et la machine Carrefour a manager c’est autre chose que des dépanneurs majoritairement station service de carburant.

  8. Au sujet de Carrefour, mais rien à voir avec Couche-tard : des nouvelles d’un des 10 magasins inspirants (édition 2020), à savoir Carrefour Next ?
    Mis sur pause car peu COVID-compatible ou totalement abandonné ?

  9. comme d’habitude ce sont les saigneurs qui vont se gaver et les travailleurs qui vont payer la note qui sera d’autant plus salée que leur poste se situe en bas de l’échelle. Déjà l’expérience client chez carrefour est nullissime pour peu qu’on soit un consommateur avec un minimum de dignité et qu’on refuse les caisse automatique et l’encaissement par scanette. Avant de parler dividendes , économies d’échelle etc on devrait interdire toute fusion rachat alliance sans engagement écrit e avec lourde sanctions à la clés si ces engagements ne sont pas respecter (nationalisation sans contre partie) en interdisant toute réduction d’effectifs sur les 99 prochaines années.

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